29 octobre 2014

Interdisons la philosophie!



La philosophie est dangereuse.

Pour la tranquillité de l'âme, sans doute, pour la béate ignorance, certainement, et pour la confortable certitude, nécessairement.

Je peux donc tout à fait comprendre pourquoi tant de gens font preuve de tant de défiance quand ils sont confrontés au philosophe et à ses questions.

Par contre, que des gens en viennent à interdire l'enseignement de la philosophie dans une université, cela je ne peux pas le comprendre. La question suivante est donc: puis-je seulement le concevoir?


Qu'est-ce donc que la philosophie?

Mon point de vue sur cette éternelle et complexe question se précise peu à peu: elle est la recherche de la sagesse.
Elle est la recherche de l'harmonie, de la vérité, comprises comme des caractéristiques fondamentales de la construction de toute vision du monde, et de tout self-system, possibilités inhérentes à tout être humain.
La philosophie est l'art de remettre en question les évidences les plus banales, les certitudes les plus acquises, dans une perpétuelle quête d'un possible "mieux".
Elle est l'exercice de la réflexivité nécessaire à la prise de conscience du système de pensée, soit-il commun ou individuel, qui finalement n'est autre chose que la manifestation de la vie de la conscience.
La possibilité de la philosophie naît de la possibilité de vivre en tant qu'être humain.
À partir du moment où nous parlons de l'humanité en général, ou d'un être humain en particulier, un système de pensée, fût-il rudimentaire, est un donné nécessaire, et la philosophie est donc une possibilité nécessaire.

Nier la philosophie serait donc refuser une possibilité, liberté que bien des gens prennent.
Mais nier la possibilité même de la philosophie, voilà qui se rapproche dangereusement de la négation de l'humanité elle-même.


Qu'est-ce donc que l'université?

Sans entrer dans les détails historiques, il est évident que l'université peut se comprendre au moins sous trois aspects fondamentaux.
L'université est une école, un lieu d'enseignement. C'est en son sein que des spécialistes peuvent indiquer la voie à des non-spécialistes qui sont en train d'essayer de se spécialiser.
L'université est un centre de recherche. Les spécialistes, de quelque discipline que ce soit, ne sont des spécialistes que parce qu'ils sont des chercheurs. Des chercheurs de vérité, de précision, d'harmonie, de connaissance, qui cherchent encore et toujours le prochain "mieux" possible.
L'université est un nœud d'échanges. Regroupant les spécialistes des différentes disciplines, elle leur permet de comparer leurs approches, leurs méthodologies, leurs résultats, leurs visions du monde, et ainsi de prendre conscience de la complémentarité de chaque aspect avec chaque autre, dans la formation de ce qu'on pourrait désigner assez maladroitement comme un super-système, le système des systèmes, qui vise à atteindre l'universalité dans toute sa diversité.

Choisir de ne pas vivre l'université, c'est laisser le soin à d'autres de consacrer leur énergie à l'enseignement, à la recherche, et à l'échange.
Mais interdire l'université, c'est nier l'accès au savoir, c'est nier la nécessité de l'échange, c'est nier la possibilité même d'un "mieux".


Qui donc, pourrait vouloir interdire l'enseignement de la philosophie à l'université, et pour quels motifs?

Si je continue à suivre cette ligne de réflexion, celui qui interdit la philosophie à l'université renie la recherche d'un "mieux", renie la possibilité de prendre conscience de la vie, renie l'échange et la réciprocité des aspects, renie la nature même de l'humanité.

Même le plus acharné des nihilistes, qui renierait absolument chacun de mes mots, ne pourrait m'interdire de suivre ma voie. Il trouverait qu'elle est vaine, vide de sens, absurde, mais il serait non moins vain, vide et absurde pour lui de me l'interdire. Le nihilisme s'interdit tout sens, mais s'interdit également d'interdire.

Il faut pourtant que cette interdiction fasse du sens pour quelqu'un.

Je trouve pitoyable, au sens propre, que justement ceux qui ont annoncé une telle interdiction se proclament défenseurs d'une religion, d'un message divin.
Ceux qui, au nom de Dieu, commettent le meurtre, renient l'humanité, et font trembler des populations entières par la menace et la violence, ceux-là sont des criminels.
Criminels aux yeux des hommes, criminels aux yeux de Dieu (s'il a des yeux).

C'est un crime contre l'humanité, que de prendre pour justification des pires atrocités un système de pensée qui tente de donner accès aux hommes à leur nature profonde.

Car la religion est un système de pensée, qui essaye de saisir et de partager un aspect de la réalité vue comme supérieure, suprême, divine.
Toute forme de révélation religieuse propose une compréhension du monde, de l'univers, de l'être humain, du divin, de l'absolu.
Toute forme de religion propose un "mieux".

Une religion honnête, intègre, et cohérente, quelle qu'elle soit, n'oublie pas qu'elle n'est rien d'autre que des êtres humains apportant un message divin à d'autre êtres humains.

Et pour qu'un être humain puisse saisir les bienfaits du "mieux" annoncé par la religion, il est nécessaire qu'il puisse exercer sa faculté de recherche du "mieux".
Pour pouvoir saisir la valeur d'un système de pensée, il est nécessaire de comprendre quelle valeur peut avoir un système de pensée.
Pour promouvoir la parole divine, il est nécessaire de comprendre la parole humaine.
Pour pouvoir vivre la foi, il est nécessaire de vivre la raison.

Donc ceux qui proclament un État Islamique, et qui renient l'humanité de ceux à qui ils tentent d'imposer leur vérité, se tirent une balle dans le pied.
Il suppriment toute possibilité pour le reste du monde d'accéder à la valeur du message de cette religion.
Il privent des être humains de leur dignité, de leur liberté, de leur responsabilité, de leur nature, de leur vie.

Non moins grave, il renient l'humanité en eux-même.
Ils sont les animaux, les démons, les êtres maléfiques qu'ils veulent voir dans leurs adversaires.
Ils insultent violemment le Dieu qu'ils disent servir.
Ils sont la fin de l'humanité.


Mais pourquoi donc est-il possible d'en arriver là?
N'y a-t-il pas déjà eu suffisamment d'atrocités commises aux nom de la religion, de la vérité, de Dieu, et au détriment des être humains?
Pourquoi l'histoire semble-t-elle se répéter, encore, et encore?

Pour bien des raisons sans doute, mais au centre il y a celle-ci:

Ceux qui interdisent l'enseignement de la philosophie, y sont réduits, parce qu'ils n'ont pas eu la chance de recevoir ni de comprendre le message qu'elle leur propose.
Ils n'ont pas pu comprendre ce qu'est l'être humain, ni ce qu'est la philosophie pour lui.
Ils n'ont pas vu les erreurs qui ont été commises, ils n'en ont rien appris.
Ils ont été privés de leur propre nature, ils en souffrent.
Et ils veulent le faire payer au monde entier.

Ils sont dans l'erreur, et ils s'acharnent à se détruire eux-même comme ils détruisent leurs semblables.
Ils sont nés être humains, et ils se sont déchus, damnés eux-même.


Le plus préoccupant, c'est qu'ils ne sont pas les seuls.
Ceux qui réagissent à leur menace, ne sont pas forcément plus humains qu'eux. Ni plus conscients.
À l'intolérance et la violence répondent la violence et l'intolérance.

La situation devient extrêmement simpliste: il y a d'un côté les gentils, et de l'autre les méchants.
Qui est de quel côté, cela dépend de quel côté est celui qui se pose la question.

Ce monde aurait grandement besoin que les être humains arrêtent de s'auto-détruire, et se consacrent davantage à se comprendre eux-même, à vivre consciemment.
Mais déjà, cela ne rapporterait pas autant d'argent, ni de gloire, ni de confort.
En plus, cela impliquerait de remettre en question les certitudes que nous croyions acquises, d'envisager la possibilité qu'il y ait eu des erreurs quelque part.

Et oui, c'est inconfortable.


Vous avez raison, interdisons la philosophie.


12 octobre 2014

Manifeste de philosophie thérapeutique



Quel service le philosophe peut-il rendre à la communauté?

Le philosophe plutôt théorique s'intéresse à ce qui est, ce qui existe, ce qui peut être connu, comment, etc.

Le philosophe plutôt pratique s'intéresse à ce qui se fait, comment, pourquoi, qu'est-ce qui devrait être fait, etc.

Ce que j'appelle pour l'instant philosophie thérapeutique (ou thérapie philosophique, si vous préférez), est en quelque sorte l'intégration de ces deux aspects.

Il ne s'agit pas d'une thérapie au sens psychologique du terme, où le patient est vu comme malade par rapport à une norme, norme vers laquelle le thérapeute va essayer de ramener son client.

Il s'agit plutôt d'un accompagnement philosophique.

Je pars du principe que toute personne, tout être humain a une manière bien à lui d'appréhender la réalité.
Je crois qu'il existe une réalité, un fondement ultime et unique, je suis en ce sens un absolutiste (si on aime les -ismes).
Je crois aussi qu'il n'existe pas un accès juste et unique à cette réalité, mais bien plutôt autant de points de vue que d'êtres conscients. Je suis en ce sens un relativiste (toujours si on aime les -ismes).

Donc toute personne appréhende à sa manière ce qu'elle peut saisir de la réalité. C'est ce que j'appelle la Vision du Monde.

Parallèlement, toute personne douée de suffisamment de réflexivité a également une manière de s'appréhender elle-même, de se définir, de se connaître. C'est ce que j'appelle le Self-system.

La Vision du Monde et le Self-system sont tous les deux des systèmes, construits par notre intellect, notre cerveau, notre esprit, selon votre définition de ce qui construit des systèmes de pensée.

En tant que systèmes, ils sont constitués d'éléments: des concepts, des images, des croyances, des désirs, touts les composants que vous pouvez imaginer formant un système. Un peu comme des briques de Lego, ou des barres de Mécano, des allumettes, des cartes, ou quoi que ce soit avec lequel vous pouvez construire votre propre structure.

La médecine ne me contredira pas trop je pense, si je dis que la douleur est le résultat d'une dissonance entre différents éléments au sein d'un système.

A priori, le philosophe ne pourra rien pour soulager une rage de dents, un bras cassé, ni un ongle incarné. Sauf peut-être en vous distrayant de votre douleur physique.

Par contre, il existe bien des formes de douleur, ou d'inconfort tout du moins, qui résultent de dissonances au sein de nos systèmes de pensée.

Parfois, il y a des informations que nous ne pouvons ignorer mais qui contredisent des éléments essentiels de notre Vision du Monde et/ou de notre Self-system.
Parfois, nos systèmes requièrent une information essentielle qui nous fait pourtant défaut, provocant l'instabilité desdits systèmes.

Je suis persuadé que beaucoup de conflits, tant externes qu'internes, tant ouverts que latents, tant internationaux qu'intimes, sont dus à des dissonances entre différents systèmes, au sein de différents systèmes, tant entre ou au sein de la Vision du Monde, entre ou au sein du Self-system, qu'entre Vision du Monde et Self-system.

Et je suis au moins autant persuadé que les compétences théoriques, pratiques et systémiques du philosophe peuvent justement aider à identifier, puis à résoudre ces dissonances.

La philosophie thérapeutique se veut donc un accompagnement philosophique, où le philosophe rencontre la personne, essaie de participer à sa Vision du Monde et/ou à son Self-system, et l'aide à identifier puis à résoudre les dissonances.

La philosophie thérapeutique n'est pas vraiment un soin, vu que la personne n'est pas malade, et que le philosophe ne dispose pas de remède.
Le philosophe ne dispose d'aucune "vérité absolue" ni d'aucune "bonne réponse" qu'il pourrait transmettre à la personne.

Mais le philosophe, ayant développé certaines capacités d'analyse et d'identification des sources de dissonances au sein de systèmes tels que la Vision du Monde et le Self-system, peut respectueusement les mettre à la disposition de la personne, pour l'accompagner sur son chemin.

Car finalement, le philosophe lui-même est aussi sur son propre chemin, il est aussi toujours en quête d'amélioration pour sa propre Vision du Monde et son propre Self-system.

Et c'est en ce sens que l'accompagnement philosophique prend tout son sens: le philosophe et la personne, échangeant leurs expériences, partageant leurs Visions du Monde, leurs Self-systems, leurs capacités propres et spécifiques à chacun, s'enrichissent mutuellement, se découvrent eux-même par le jeu de la réciprocité, et grandissent chacun sur leur chemin respectif vers leur but commun, réduire les dissonances et saisir la réalité.

Les seules conditions requises, finalement, sont:
- le respect d'autrui comme de soi-même,
- l'ouverture d'esprit à des points de vue différents,
- l'humilité de reconnaître être soi-même en chemin,
- la croyance en un potentiel d'amélioration.

Respect, Ouverture, Humilité, Optimisme.

Une belle définition de la Philosophie, et aussi une belle définition de la Vie.