2 avril 2014

Que ton règne vienne...



Cela doit faire partie de notre nature je pense, ou du moins de notre état présent, que d'avoir l'impression que nous sommes soumis aux influences du "monde extérieur", de ses aléas qui souvent nous sont désagréables, ce sentiment d'être à la merci du premier ouragan venu. (Éole, pas si fort...)

Sauf bien sûr me diront certains, si nous incarnons déjà le Sage des Stoïciens, que notre "citadelle intérieure" est à toute épreuve, ou si nous avons décidé de pratiquer l'épochè chère aux Sceptiques comme à Husserl, qui nous permet de discréditer jusqu'à l'influence du soleil sur la température ambiante (sans parler de celle sur notre moral), puisqu'il n'y a aucune raison ni pour accepter son existence, ni pour la lui dénier. (Hélios, pardonne-leur...)

Mais quand bien même ce serait le cas, qui d'entre nous peut affirmer qu'il n'est jamais sous l'impression de subir des influences de son propre "monde intérieur"? Qui ne ressent jamais, ne fût-ce qu'un épisode fugace (avant qu'il soit refoulé en bonne et due forme) de passion, dans le sens le plus primitif du mot patere, pathein, les assauts de son cœur, sous toutes les déclinaisons possibles et imaginables des émotions? En court, qui ne souffre pas?

Mon propos ici n'est pas de démontrer que tout le monde souffre (cf. R.E.M. "Everybody hurts") puisque finalement c'est exactement cette même capacité qui nous permet d'être heureux, et que je plaindrais l'âme qui affirmerait ne jamais pâtir.
Mais justement, quand il s'agit du sentiment de plaisir, ou de quelque émotion positive que ce soit, il ne nous pose aucun problème d'en jouir, parfois même en toute simplicité, mais dès lors qu'il s'agit d'émotions dites "négatives", il nous est bien plus difficiles de les accepter, de les gérer...

Comment donc, intégrer cette asymétrie entre toutes nos émotions, tout en évitant de refouler mécaniquement celles que nous jugeons négatives, ou de dénier l'existence de celles que nous jugeons pourtant positives, et qui sont quelque part le moteur de toutes nos actions?
(Partant, qui peut affirmer qu'il ne cherche pas le bonheur? Même l'austère Kant agréerait sur ce point. Mais ceci, est une autre histoire.)


Je ne veux pas éliminer la possibilité que ton amour, ton plaisir, ta colère, ta rancune, ta souffrance, soit de quelque manière "causée par le monde extérieur", mais pour commencer, parlons de ta culpabilité, de ta lassitude, de ton angoisse (chère à Heidegger), qui semble de quelque manière être "causée par ton monde intérieur".

Combien de fois dois-tu affronter ces démons, alors que tu ne vois aucun motif rationnel pour leur émergence au fond de toi?
Certes, tu as toujours vite fait de les expliquer par ceci ou par cela, le plus souvent quelque part "à l'extérieur", sur lequel tu as beau jeu de focaliser ton énergie revancharde pour triompher des obstacles que "le monde" met sur ta route...
Je ne te jette pas la pierre, notre esprit est ainsi fait, qu'il trouve toujours un bouc émissaire, une "cause" à qui attribuer la responsabilité de tout ce qui peut lui arriver. Et le plus il est agile, entraîné, vif, le plus il peut se montrer retord à ce jeu-là.

Mais sérieusement, qui est-ce qui souffre? Qui a peur? Qui est las?
Toi, naturellement.
Mais dans ce cas, que sont cette souffrance, cette peur, cette lassitude?
Bien sûr il peut te sembler qu'elles soient des attaques du "monde extérieur", que ce soit parce que cette situation autour de toi te révolte, parce que ce comportement de tel autre t'irrite, ou parce que tu as trouvé un responsable quelque part dans ce monde ou dans un monde passé qui "cause" ta souffrance actuelle...

Mais quand bien même tel souvenir pourrait être tenu pour responsable de ta douleur, où est elle? Dans le passé, juste après sa "cause"?
Non. Ta douleur est bien présente, là, quelque part entre ta gorge, ton cœur et ton nombril.

De même que ta rancœur, ta culpabilité, ta lassitude, ta colère, ton désir, ton plaisir, ta joie.
Elles sont toutes "parties de toi"!

Mais peuvent ces "parties de toi" être "causées par le monde extérieur"?
Vraiment?

Quoi que tu décides de croire à ce sujet, il n'en demeure pas moins que quand tu as mal, c'est une "partie de toi" qui souffre.
C'est toi qui souffres.
Cette souffrance est bien réelle.
Et elle est en toi.
Elle est toi.

Alors qu'est-ce que tu fais? Tu baisses les bras? Tu rends les armes?
L'ennemi n'est pas dans le "monde extérieur", il est à l'intérieur même de ta citadelle!
Et ta citadelle, c'est toi.
Et ton ennemi, qui est dans ta citadelle qui est toi, cet ennemi c'est toi!


Tant que tu accordes une existence séparée de la tienne à ton émotion négative, tu lui accordes un pouvoir "causal" comme celui que tu accordes aux entités que tu situes dans le "monde extérieur".
De là, tant les fantômes dont tu peuples le "monde extérieur" que ton émotion négative que tu as extériorisée sont devenus des menaces pour ton "monde intérieur".
Alors, parmi les fantômes qui gardent ta citadelle, naît une peur, peur de la menace des fantômes du "monde extérieur". Mais comme c'est toi qui as peur, tu l'attribues au "monde extérieur" comme de juste, et du coup tu l'ostracises. Et un fantôme de plus autour des murs de ta citadelle...


Le jour où tu prendras conscience que ce mécanisme tu le reproduis chaque jour, chaque heure, tu réaliseras que c'est toi qui peuples le "monde extérieur" avec tes fantômes, c'est toi qui les armes de pouvoir "causal", c'est toi qui leur donnes le pouvoir de te faire souffrir. Et les armes que tu fournis aux fantômes qui gardent ta citadelle ne peuvent blesser... que toi.

Ce jour-là, tu auras peut-être le courage et la sagesse de quitter ta citadelle, d'unifier les mondes "extérieur" et "intérieur" en un seul royaume, dont tu es, dont tu as toujours été, et dont tu seras toujours le monarque légitime, absolu, et incontesté.

Car le seul qui pourrait contester ton autorité, ce n'est pas un fantôme que tu as pu créer, mais c'est toi.

Bien sûr, dans ton royaume, la souffrance ne cessera pas d'exister. Mais la joie non plus ne disparaîtra pas.
Toutes les émotions, que tu peux classifier à ton bon gré entre les "bonnes" et les "mauvaises", font partie de tes loyaux sujets.
Elles ne sont pas les seules, mais tu auras tout loisir de partir à la rencontre des habitants de ton royaume, une fois que tu te seras rappelé que le poids sur ta tête est celui de ta couronne, et que le bâton qui t'aidait à soutenir ta lassitude n'est autre que ton sceptre...


Par-delà toutes les murailles que tu peux ériger entre tous les mondes que tu veux distinguer, s'étend ton royaume. Il ne t'empêchera jamais de le retrancher en autant de frontières illusoires que tu le souhaiteras (et tu peux en tracer beaucoup...) pour la simple et bonne raison que le royaume et son monarque ne sont qu'un... Et ce que le monarque veut, le royaume le peut.

À toi donc le libre choix, de régner sur un camp retranché peuplé de fantômes ou sur une terre fertile et ouverte sur l'univers.

Qui dit liberté, dit responsabilité.
Et qui dit responsabilité, dit peur.
Alors cette peur, fantôme ou loyal sujet?

N'oublie pas que tu es, tu as toujours été, et tu seras toujours le roi et le royaume, la citadelle et les fantômes, le "monde intérieur" et le "monde extérieur".
Tu es chacune de tes émotions, mais tu es aussi leur souverain.
Tu es ton propre royaume, et tu es aussi tout ce qui tu y crées.
Tu es chaque larme, celle que tu verses comme celle que tu fais verser.
Tu es chaque sourire, celui que tu donnes comme celui que tu reçois.


Prend conscience de qui tu es, de ce que tu es, et que ton règne vienne.